Le commentaire d'arrêt constitue, avec le cas pratique et la dissertation, un exercice majeur pour le juriste étudiant. Il est, en effet, l'occasion d'utiliser des connaissances théoriques pour appréhender les difficultés concrètes soulevées par la décision commentée. Cependant, la réussite de l'exercice présuppose la maîtrise d'une certaine méthodologie.
1. - Appréhender le sujet
A. - Comprendre une décision de justice
Toute décision de justice de droit privé présente une structure binaire à savoir :
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Les motifs : « Attendu que… » ; « Mais attendu que… »
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Le dispositif : « Par ces motifs : … »
D’un point de vue grammatical, les décisions de justice sont, le plus souvent, rédigées en une seule phrase composée d’une multitude de propositions principales et subordonnées.
D’un point de vue logique, elles sont construites selon la forme d’un syllogisme :
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La prémisse majeure est constituée de l’énoncé de la règle de droit
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La prémisse mineure est constituée de la situation de fait de l’espèce
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La conclusion réside dans le dispositif de la décision de justice
Cependant, une distinction est possible entre, d’une part, les arrêts de rejet et, d’autre part, les arrêts de cassation.
a. - Les arrêts de rejet
Ils ne comportent pas de visa et présentent généralement une structure ternaire :
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Rappel des faits et de la procédure : « attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué… »
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Arguments des parties au soutien du pourvoi : « attendu qu’il est reproché / qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors que… »
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Réfutation de ces arguments par la Cour : « mais attendu que c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que… »
b. - Les arrêts de cassation
Ils comportent tous un visa, d’un texte ou d’un principe, et présentent généralement une structure quaternaire :
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Règle de droit
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Rappel des faits
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Solution et arguments de la cour d’appel : « attendu que pour faire droit / débouter X… »
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Conclusion : « attendu qu’en statuant ainsi, alors que… la cour d’appel a violé le texte susvisé »
B. - Lire efficacement une décision de justice
La lecture de la première ligne du texte permet de déterminer de quelle juridiction émane la décision :
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« Le Tribunal » annonce une décision des juges du premier degré
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« La Cour » annonce un arrêt d’appel ou de cassation. Cependant, d’autres indices permettent de déterminer qu’il s’agit d’un arrêt de cassation : « Sur le moyen unique », « sur le premier moyen » ou « sur les moyens réunis »
Une triple lecture globale de l’arrêt peut, ensuite, être entreprise :
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Une première lecture permettant d’envisager, dans son ensemble, la décision
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Une seconde lecture tendant à dégager la structure de l’arrêt. Ne pas hésiter à annoter l’arrêt pour isoler les propositions principales des propositions circonstancielles
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Une troisième lecture permettant d’élaborer un plan sommaire des motifs de la décision. Ne pas hésiter à numéroter les strophes de l’arrêt
Astuce FAQ de Droit : souciez-vous des mentions hiérarchisant les arrêts de la Cour de cassation ! Rien de mieux pour mesurer la portée d'un arrêt que ces fameuses initiales situées à côté des références de l'arrêt commenté.
« P.B.R.I » Ces mentions définissent la nature de la publication, qui est décidée par les magistrats de la chambre à l’issue du délibéré.
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« P » désigne, selon le cas, les arrêts publiés au Bulletin des arrêts des chambres civiles ou au Bulletin des arrêts de la chambre criminelle.
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« B » désigne les arrêts publiés au Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC).
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« R » désigne les arrêts analysés au rapport annuel de la Cour de cassation.
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« I » désigne les arrêts diffusés sur le site internet de la Cour de cassation.
Ces différents supports de publications peuvent se combiner, un arrêt pouvant être qualifié, par exemple, « P+B », « P+B+R » ou encore « P+B+R+I », selon l’importance que la chambre lui accorde.
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Les arrêts « D » font l’objet d’une diffusion sur Jurinet, la base des arrêts de la Cour de cassation, accessible sur le site intranet de la Cour (non public). Ils sont également accessibles via le site Legifrance.gouv. fr sous la mention « inédits ».
Selon la complexité des pourvois, les formations des chambres diffèrent. Elles sont signalées par les lettres :
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FP : formation plénière de chambre,
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FS : formation de section (9 à 15 magistrats selon les chambres),
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F ou FR : formation restreinte (le président, le doyen et le conseiller rapporteur).
2. - Rechercher des éléments de réponse
A. - Réaliser une fiche d'arrêt
Notez au brouillon les éléments suivants :
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La date de la décision
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La juridiction qui a statué
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La/les norme(s) visées
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Les faits organisés dans un ordre chronologique
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La procédure
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Les prétentions et arguments des parties
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Le ou les problèmes juridiques : étape délicate, car la problématique n’est jamais énoncée expressément dans une décision. Elle est, en réalité, un lien entre le fait et le droit. Ex : tel comportement intègre-t-il le périmètre répressif de telle disposition du code ? Tel acte juridique peut-il recevoir telle qualification au sens de tel article du code ?
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La solution de la décision
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Les éléments du contexte de la décision : la règle de droit support de la décision informe le commentateur sur le domaine juridique de la décision ; le contexte socio-économique, comme les aspects humains, politiques, religieux ou moraux ont, eux aussi, leur importance.
Il s’agit ici de se demander si la décision rendue est bonne ou mauvaise et d’apprécier son influence sur l’évolution du droit positif.
B. - Rechercher la valeur et la portée de la décision
a. - La valeur de la décision
S’interroger sur la valeur de la décision revient à se poser les questions suivantes :
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Le juge a-t-il appliqué aux faits de l’espèce la règle de droit qui avait vocation naturelle à les régir ?
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Cette règle a-t-elle été bien interprétée ? Cette interprétation est-elle conforme à l’état actuel du droit ? Est-elle conforme à sa ratio legis ou à l’opinion de la doctrine ?
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S’agit-il d’un revirement de jurisprudence ? Si oui, a-t-il été préparé par la doctrine et que justifie cette position nouvelle ?
b. - La portée de la décision
Il s’agit de s’interroger sur les conséquences que peut avoir la décision commentée sur l’évolution du droit positif. Il va sans dire qu’en ce domaine, un arrêt de principe est bien plus lourd de sens qu’un arrêt d’espèce en ce qu’il entend imposer une certaine interprétation de la norme.
A l’inverse, il est admis que les arrêts de rejet sont rarement investis d’une grande portée.
3. - Élaborer un plan
A. - L'introduction
Elle doit conduire le lecteur vers les questions auxquelles ont été consacrées les différentes parties du développement. Elle doit comporter :
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Éventuellement une précision relative au contexte dans lequel a été rendue la décision
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Les solutions
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Les faits et la procédure : seuls les faits indispensables, car pertinents, seront retenus.
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Le/les problème(s) juridique(s) - non factuel(s) soulevé(s)
Astuce FAQ de Droit : l’introduction ne doit contenir aucun aspect juridique technique. En outre, il n’est pas souhaitable de présenter un autre arrêt que celui faisant objet du commentaire.
B. - Le développement
Deux types de développement peuvent, généralement, être tenus :
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Une approche critique, d’abord, dans laquelle le commentateur prend parti par rapport à la décision rendue.
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Une approche descriptive, ensuite, plus neutre, qui consiste à exposer différents aspects de la décision.
Précision importante, le plan doit porter sur la solution de l’arrêt, non la problématique. En outre, le cœur du commentaire doit se trouver au B du I et au A du II.
Il est évidence qu’il n’existe pas de plan-type : à chaque arrêt son propre plan. Cependant, certains éléments trouvent leur place dans la majorité des commentaires.
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Le I peut contenir, en premier lieu, la situation de la décision commentée par rapport au droit positif (A). C’est ici qu’il convient, par exemple de faire état des textes applicables au thème étudié, de la jurisprudence antérieure ou encore de la position traditionnelle de la doctrine.
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En second lieu, le I peut traiter d’un premier aspect fondamental de la décision (B). Il s’agit de présenter et surtout d’expliquer cet élément, et pourquoi pas d’émettre des hypothèses sur ce qui a pu motiver une telle décision.
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Le II peut, quant à lui, être porteur, d’abord, du second aspect de la décision (A) et, ensuite, d’un élargissement (B). Il s’agira ici de s’interroger sur la portée de l’arrêt, sur sa conformité avec les droits étrangers ou encore sur une éventuellement évolution législative future.
Astuce FAQ de Droit : Quoique cela soit bien souvent tu en Droit, vous devez garder à l'esprit que le juge, dès lors qu'il est en charge de trancher un litige et parce qu'il est un être humain, s'interroge dans un premier temps de la façon suivante : "Qui du demandeur ou du défendeur gagnera ? Qui doit profiter de la solution ?". Dans un second temps, il s'attache à "habiller juridiquement" sa solution afin de la motiver et de la fonder en Droit.